C'est le 28 mai 1940 qu'est signée la capitulation sans condition de l'armée belge. La Belgique a résisté 18 jours à l'armée allemande et le roi Léopold III - chef des armées de Belgique - a en effet décidé de mettre fin à la participation des soldats belges dans les combats qui les opposaient aux forces allemandes.
Six mois plus tard (à quelques jours près), le 19 novembre 1940 pour être précis, Léopold III rencontrera Hitler au Berghof, la résidence que ce dernier occupe depuis les années 30 à Berchtesgaden, une ville située tout à fait au sud-est de la Bavière. Une rencontre qui contribuera à discréditer le Roi aux yeux d'une partie très importante de la population belge, ce qui finalement le forcera à abdiquer.
Alors que dans le reste de sa vie, Léopold III a semblé se cantonner à une réserve (qu'on aurait pu qualifier) de bon aloi, voilà que Lilian Baels va "sortir du bois", si l'on peut parler ainsi, au début du XXIe siècle.
Rappelons que Lilian Baels est la seconde épouse de Léopold III et qu'il s'agit d'une "union" qui va faire scandale en Belgique d'abord à cause du timing : le fait que le mariage religieux ait été gardé secret (pourquoi ?), ait eu lieu le 11.09.1941 et ait ainsi précédé de quelques mois le mariage civil - qui aura lieu le 06.12. 1941 - est contraire à la constitution belge et de plus, alors que le Roi se marie, les prisonniers belges (principalement francophones) croupissent - eux - en Allemagne.
On trouve aussi pour le moins étrange que le Roi - "prisonnier d'Hitler" - ait eu le temps et l'occasion - dès 1940 ? En 1941 ? - de "faire la cour" à la fille du gouverneur de Flandre orientale qui clairement lui rendait visite régulièrement.
Quoi qu'il en soit, conformément aux souhaits de son mari (décédé en 1983) Lilian Baels (devenue par son mariage la Princesse de Réthy) va publier en 2001 ce qui ressemble à des "Mémoires" que Léopold III a rédigées en secret et intitulées (assez pompeusement) "Pour l'Histoire : sur quelques épisodes de mon règne", Editions Racine.
Dans cet ouvrage, Léopold III revient sur des événements bien connus des spécialistes de "La question royale" et prétend "corriger ce qui doit l'être".
Pas besoin de dire que cette publication fit l'effet d'une bombe en Belgique, si bien que tous ceux qui s'estimaient habilités, n'ont pas manqué d'intervenir "dans la foulée".
Après deux décennies ce qui donne à l'étude un recul appréciable, M. Van Overbeke revient sur cette "dernière" publication de Léopold III.
On notera que M. van Overbeke a, pendant sa carrière académique, enseigné e.a. la linguistique à l'université de Louvain-La-Neuve (Belgique), ce qui n'est pas sans importance, car son analyse relève de sa qualité de spécialiste de la pragmatique linguistique.
En guise de préambule, l'auteur annonce qu'il s'emploiera à éviter tout anachronisme qui serait fatal à sa cause, comme pour toute démonstration d'historien bien évidemment. Un point de vue que l'auteur ne prendra cependant pas : il va proposer une analyse pragmatico-linguistique d'un document écrit, un exercice de style mené avec brio, un modèle du genre recommandable dans toutes les formations où on décortique les rouages compliqués de toute forme de communication.
Evidemment l'analyse de tout texte faisant référence à l'Histoire présuppose un contexte historique et je me dois d'attirer votre attention sur un petit passage que je ne suis pas prêt d'oublier : ainsi, l'auteur souligne combien en 1940, rien, absolument rien ne laissait supposer que la guerre allait durer 5 ans. Je dirais même "que du contraire".
Doit-on rappeler que cette guerre n'est devenue "mondiale" qu'après Pearl Harbor (le 7 décembre 1941) ? Evidemment, après la guerre, on pourra dire que c'est l'entrée des Etats-Unis dans le conflit qui s'est avérée décisive pour la suite et l'issue du conflit. Ce qu'on ignore - par définition - aux moments des faits.
Avec force arguments, l'auteur montre ("dé-montre", devrais-je écrire) qu'en 1940, Léopold III était absolument convaincu que la guerre finirait rapidement.
La "Blitzkrieg" était encore trop présente à l'esprit de beaucoup.
Ainsi, c'est incontestablement avec cette conviction qu'il se rend à Berchtesgarden pour rencontrer Hitler, le 19 novembre 1940, martèle l'auteur. Mais précisément entre l'été 1940 (on rappelle que la capitulation des Belges a lieu le 28 mai de la même année) et l'automne 1940, un fait extrêmement significatif est intervenu qui change complètement la donne : la Luftwaffe de Goering a perdu (ce qu'on appellera) la "Bataille d'Angleterre" (qui a eu lieu dans les airs), si bien qu'Hitler, comme le souligne M. Van Overbeke, remet à plus tard l'invasion de l'Angleterre.
D'autant que les réserves de pétrole russe l'intéressent et qu'il prépare secrètement l'opération Barbarossa (qui commencera le 22 juin 1941).
Les convaincus de la première heure (qui n'étaient clairement pas nombreux, glisse l'auteur) ont trouvé dans l'échec de l'invasion de l'Angleterre un extraordinaire message d'espoir et l'idée que l'Allemagne hitlérienne n'était à l'évidence pas invincible a dès lors commencé à faire son chemin.
Pas chez tous, évidemment, écrit l'auteur. Pas chez le Roi, par exemple, qui plus tard, le 19 novembre, va rencontrer Hitler. Mais bien chez "des" ministres belges qui se retrouvent à Londres ; c'est le cas des ministres Pierlot et Spaak qui rejoignent leurs collègues De Vleeshouwer et Gutt, qui les y avaient précédés.
Soyons donc très attentifs aux dates, cette rencontre à Londres de ministres belges a eu lieu le 22 octobre, un mois avant la rencontre de Léopold III avec Hitler. Dans la foulée de ces'retrouvailles', les Autorités britanniques vont reconnaître le noyau gouvernemental comme le seul exécutif légitime de Belgique (pp 58-62) et M. Van Overbeke de conclure ce chapitre en arguant que si le RV avec Hitler avait été pris en juin, on aurait encore pu croire que le Souverain et son Gouvernement agissaient de concert, "en revanche, en octobre ou novembre, à l'époque où celui-ci [c'est-à-dire le Gouvernement belge] avait opté à Londres non pour la neutralité, mais pour la poursuite de la guerre contre l'occupant, la présence du Roi des Belges au "nid d'aigle" du Führer prenait une toute autre coloration" (p. 62).
Ainsi, le vent a tourné.
Le contexte historique étant établi, l'analyse des rapports de ce qui s'est dit et fait à Berchtesgaden peut commencer.
Voilà un livre que j'ai lu avec le même intérêt que celui qu'on peut avoir (si on aime le genre "thriller") pour une enquête judico-policière dans laquelle toutes les pistes évoquées sont (i) justifiées, (ii) analysées à charge et décharge et (iii) conduisent alors à des conclusions très difficilement réfutables.
Un must pour les professionnels de l'histoire de la Belgique bien évidemment, ou encore du XXe siècle et de la seconde guerre mondiale. Mais tout autant pour les passionnés de la pragmatique linguistique qui trouveront dans ce petit ouvrage matière à réflexion et à méditation.
Peter Paul
AMAZON.COM, décembre 2021
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